Blockbuster au Caravansérail (2 fois)
Ce mercredi 5 juin 2024, je me suis laissé embarquer par quelques amis curieux au festival de théâtre Caravansérail à la Caserne Fonck. Comme d’habitude, quand l’idée vient pas de moi, et que je suis dans une de ces phases cyclothymiques de chute libre, je suis enfermé dans ma coquille comme une huitre périmée. Qu’on m’oublie ! Mon humeur désagréable rend tout dialogue impossible, et je me cantonne à ressasser mes vieilles lubies dépassées. Ajoutons que je ne suis pas fan de théâtre. L’idée de rester assis pendant une heure et demie dans une salle obscure remplie de rires gras et forcés ou de contemplations ignares et béates ne m’enchante absolument pas…
Les copains essaient quand même de me motiver. Ça a commencé vers 19h par ce juste-un-verre à la Taverne Bavière. Le premier me dit qu’il a quatre places pour un truc original et liégeois qui se trame en face de la caserne des pompiers. Bof, Bof. Le deuxième évoque vaguement le Grand détournement. Ça commence à m’intriguer. Il brosse un trait rapide de ce qu’on va voir : cinq comédiens-musiciens-bruiteurs en interaction avec un écran géant sur lequel sont projetées des images de films amerloques connus. Je sens monter une demi-molle. Le dernier, L., me confirme qu’il y aura bel et bien un bar. Il a toujours su me convaincre. On part pour un bon coup.
Une fois embarqué dans le bazar, qu’on avait bien pris nos places, chacun bien installé sur son siège, que le public a ralenti son brouhaha, l’organisateur est venu faire son speech de présentation avec élégance. J’écoute attentivement en observant les lieux avec attention. Un éclairage minimaliste soutenu par quelques lampes de chevet recouvre une scène dont la dissymétrie dynamique met face à face un Clavia, deux batteries, des guitares électriques, une basse, une contrebasse, des bouteilles de vin vides, des petites armoires démembrées et des caisses en bois. Le tout est parsemé de micros et dispersé sur un long tapis orangé aux rides vintages.
En guise d’apéritif, les comédiens nous rendent complice de l’aventure en nous enregistrant gueuler avec passion et applaudir en rythmes. Ces boucles seront évidemment réutilisées plus tard dans la pièce. Ils prennent ensuite place dans leur grand bric-à-brac pour donner la parole au… lion de la Métro Goldwyn Mayer. Comme dans tout bon blockbuster ricain c’est ce rugissement qui lance le spectacle... Quelques notes de guitares viennent relancer la tension du générique… Ecran noir, avertissements ironiques et le titre de la pièce qui apparait en rouge. La tension monte.
Un plan large survole lentement New-York pour atterrir tête à tête avec… Julia Roberts. On y est ! Je n’aurais pas pu rêver mieux. Je vois mes années d’ado défilées. Ce sourire foudroyant laissant apparaitre cette dentition parfaite et ces yeux de biche langoureux qui me font plonger dans une contemplation divine. Je retombe immédiatement amoureux, mais dès que son doublage prend la parole, c’est le retour à la réalité. Comme si toutes ces années s’évanouissaient dans un fou rire incontrôlable. Le public a l’air de suivre.
S’enchainent les extraits de 160 films hollywoodiens détournés dans tous les sens du terme pour cet OVNI théâtrale. Les fous rires se multiplient. Intensément. Le moindre bruitage ou la moindre intonation nous fait pouffer en cœur. Tout y est pour enfin reprendre le contrôle sur cette chute libre que j’évoquais en début de chronique. Bon, évidemment, la bienséance me demande de pas vous divulguer tout ce que j’ai vu. J’aurais bien voulu vous parler des apparitions de Brad Pitt et de Stallone, mais ce serait de la triche. J’aurais bien aimé aussi vous parler de Michael Douglas, de Will Smith, ou de Bruce Willis…
Je ne m’attarderai pas non plus sur le ‘on va changer le monde avec des grands discours’. J’étais pas venu pour ça, le sujet est trop complexe pour être réduit en une simple chronique et pourrait handicaper la cause. On a vu ce que ça a donné il y a quatre ans... Le principal, c’est que je suis rassuré d’encore découvrir des artistes qui, par un travail colossal, transforment les formes classiques connues et cristallisées en objets artistiques inédits et inoubliables.
Vendredi 7 juin, 18h15, le téléphone retentit. L. me relance pour la version ‘casque audio’ de cette même pièce. J’accepte immédiatement. Deux fois le même spectacle en deux jours d’intervalle, je n’avais plus fait ça depuis Interstellar au cinéma en 2017. On est reparti pour un tour… ça tombe bien, j’avais pas tout saisi du premier coup. Cette fois-ci, on est immergés du début à la fin. Rires aux éclats… La même ? la même, mais en mieux !
Les artistes du Collectif Mensuel seraient-ils les dignes successeurs d’un éternel Marcel Mariën ? les ‘nouveaux’ Hazanavicius liégeois ? les Marcel Duchamp de la Caserne Fonck ? les petits neveux d’un prolifique Tristan Tzara ? les Samuel Beckett de la Cité ? C’est tout vu… Ils ont leur place, et la garderont ! J’aurais encore apprécié des dizaines des représentations comme je venais de vivre, mais comme tout a une fin dans la vie, je n‘ai plus que ça à dire : Monde de merde.